Retour sur le colloque de Pau de juin 2021
Un colloque international post-covid s’est tenu à Pau le jeudi 24 et le vendredi 25 juin 2021. Le thème était la « place » de la personne dans les accompagnements institués.
Deux jours teintés de dialogues, d’ateliers, de tables rondes et de conférences. Dont une table ronde intitulée diversité des pratiques de mobilisation du récit de vie, en suisse, en Italie, au brésil et au Québec.
Voici un extrait de la contribution de Catherine Schmutz-Brun (Docteure en Sciences de l’éducation, conceptrice et responsable du CAS de recueilleurs et recueilleuses de récits de vie à l’Université de Fribourg – Suisse). L’extrait sont des notes personnes de Catherine Schmutz-Brun, écrites à la première personne.
Titre de mon intervention: où suis-je pour faire une histoire de ma vie ?
J’ouvre avec cette citation de Sylvie Vauclair [1], 2003:
« Quand nous observons la Lune depuis la Terre, nous la voyons telle qu’elle était une seconde auparavant. Quand nous observons le Soleil cela fait huit minutes. La planète Neptune à peu près quatre heures. Les premières étoiles plusieurs années. Et les galaxies nous les voyons telles qu’elles étaient il y a des millions et des milliards d’années. Le ciel est donc une mémoire de l’univers. »
« Où suis-je ? » Titre de l’ouvrage récemment paru de Bruno Latour, en 2021 avec le sous titre « Leçons du confinement à l’usage des terrestres ».
Où suis-je ? Et j’ajoute: pour faire une histoire de ma/la vie ?
C’est avec plaisir et tous mes plus vifs remerciements aux organisateurs du colloque que je vous parle d’une spécificité qui fait la renommée de la formation fribourgeoise depuis 2011 : un CAS de recueilleur et recueilleuse de récits de vie dont le succès a dépassé les frontières.
La 7ème volée s’est terminée le 15 juin avec des soutenances pleinement réjouissantes tant les champs semblent s’investir et se diversifier:
- Martha: le recueil de récit de vie dans un accompagnement socio-éducatif (dont je salue la présence à ce colloque aujourd’hui).
- Chris: place et rôle des objets dans le recueil de récits de vie.
- Martine: place et sens de la relation à la nature dans le récit de vie.
- Eric: sujet et émancipation. La justice sociale par le récit de vie.
- Patricia: le récit de vie, une pratique pertinente dans le processus de réorientation professionnelle.
- Etc., etc.
7ème volée et dernière donc: plus de 140 personnes formées et un succès constant… Donc une suite avec Michel Alhadeff Jones mais déjà une autre perspective !
Me concernant, ma spécificité, depuis plus de 20 ans a été mes « origines » littéraires et ma première formation en lettres modernes et en linguistique. Alors à la question Où suis-je pour faire une histoire de vie ? Je commence par répondre du côté du narratif avec mon inscription la question de la trace. Écritures avec majuscules et au pluriel qui se retrouve en tant que module spécifique « écritures plurielles » aux 3 niveaux de la formation du recueil.
Mais surtout où n’ai-je pas voulu aller et comment je me suis défendue de vouloir former des biographes !!!
Au Colloque de Tours en juin 2007 – sur le thème le biographique, la réflexivité et les temporalités – j’ai présenté et écrit un article dans lequel je démontrais que le récit de vie est resté le privilège des classes dominantes jusqu’à l’apparition, dans les années 70, de récits de paysans, artisans, ouvriers collectés au magnétophone et publiés à partir des transcriptions et réécritures de l’histoire. On leur « donne la parole » mais on la leur prend pour l’écrire, constate ironiquement Lejeune (1980, p. 229). Son chapitre, rédigé en 1980, pose les prémices de réflexion concernant l’apparition d’un genre nouveau: le récit de « ceux qui n’écrivent pas ». Ainsi, mon intérêt s’est porté sur la « production narrative » pour et avec des personnes qui n’écrivent pas et plus précisément encore, sur la co-construction du lien entre le narrateur et l’auteur par la médiation du récit.
Les « sans-paroles » regroupent aussi bien des personnes qui n’ont pas la parole (question juridique ou de reconnaissance comme les sans-papiers), que des personnes qui n’ont pas « les moyens » de se raconter – si ce n’est par le truchement d’écrivains publics ou fortuitement, lors de recherches scientifiques mettant en lumière des publics ou des situations peu connues.
Dès lors, il me semblait fondamental de statuer sur un nouveau modèle narratif qui introduise la notion de co-production permettant une double réhabilitation : de 1) l’auteur, en l’occurrence le recueilleur (autrefois qualifié de « nègre » renvoyé à l’anonymat et au travail souterrain néanmoins payé pour écrire un livre signé de l’autre) et 2) du sans parole « dépossédé » de son récit (souvent anonyme) recueilli par un chercheur, un ethnologue, un écrivain ou un journaliste qui signe et se revendique auteur du texte. La co-rédaction implique une double mimésis de celui qui écrit parce que non seulement c’est lui qui recueille mais aussi parce que l’autre a laissé des traces en lui au point de le transformer; et conjointement transformation du narrataire qui fait son récit.
En 2011, à la formation continue de l’Université de Fribourg (Suisse), j’ai pu proposer un CAS de recueilleurs et recueilleuses de récits de vie. Le terme de recueilleurs et recueilleuses étant un terme de ma création, j’ai dû le justifier à chaque présentation, y compris dans l’offre de formation adressée au public. Il s’agit de se démarquer des biographes et écrivains publics et de s’inscrire dans une démarche d’accompagnement impliquante et coformative des histoires de vie en formation: dès lors, il apparaît comme une évidence que le recueilleur n’est pas un simple magnétophone qui enregistre et retranscrit (Schmutz et alii, 2019).
Il n’est pas davantage un biographe qui compulse des archives et produit le récit d’un tiers. Le recueilleur se fait véritable interlocuteur et coauteur du récit produit. Il est celui par qui le récit trouve place et forme et il accompagne cette mise en route narrative et réflexive dans un éclairage mutuel visant à donner forme au vécu comme au devenir. De sorte que le recueil de récit ouvre le sujet à sa propre historicité et lui permet de devenir acteur de sa vie et, par-là, de se réapproprier le sens global de son existence.
(Extrait du texte de présentation de la brochure de l’Université de Fribourg.)
Autrement résumé, la formation postule que les récits méritent qu’on les recueille, qu’on s’y recueille, qu’on les récolte comme on le fait de fleurs, de fruits, de graines qui nous nourrissent ou nous embellissent. J’exprime clairement la double intention de « récits autres » (empruntant d’autres formes, d’autres supports) et le fait que le récit recueilli appartient au double processus 1) de la récolte (cueillir) et 2) du recueillement, forme d’approche du sacré comme un hommage au vivant dans un mouvement de gratitude et de reconnaissance qui nous fait être et devenir.
La métaphore avec le végétal est présente de bout en bout !
1) de la graine à ensemencer, récolter, cueillir,
2) de la germination à la floraison puis au compost,
3) des interactions entre les éléments humains/non humains, vivants et morts,
et 4) du principe de transformations mutuelles ou éco-formation vers un développement durable, ou, comme le dit Gaston Pineau, permettant le passage d’un rapport d’usage à un rapport de sage !
Recueillir des récits, c’est chercher à faire mémoire, œuvrer sur ce qui fait histoire… et opérer les transformations ou reconfigurations. Les recueilleuses et recueilleurs commencent par travailler le geste de récolte d’une matière brute puis poursuivent avec un travail de transformation/reconfiguration. En travaillant le geste du cueillir puis du recueillir, il s’agit d’opérer une réitération d’un mouvement qui produit de la transformation. On ne peut pas, visiblement, cueillir un récit de vie… mais on le recueille ! Plus les années passent et les formations se succèdent, plus je vérifie que « re-cueillir » conjugue et articule nature et culture avec une dimension anthropologique et ontologique dans la façon de raconter, de faire du récit un moyen de devenir toujours plus homme et sujet aussi pour commencer, et 2) une dimension nature reliant l’humain, sujet se racontant à un autre comme soi-même (identité) et un tout autre de l’altérité avec lesquels ils se relient et qui opéreront un processus d’éco-autoformation.
L’éco-formation, selon Pineau (2005), résonne de toute cette actualité. J’y ajoute les récits de vie, car ce sont des productions narratives qui touchent le développement durable en ce qu’elles laissent des traces, et exigent que soient pensés dans le long terme les cycles de vie et les recyclages prenant en compte le souci de l’environnement social, politique, économique. (…)
(Extrait de la communication de C. Schmutz du vendredi 25 juin à l’ITS Pierre Bourdieu à Pau-France)
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[1] Sylvie Vauclair, astrophysicienne, prof émérite à l’uni de Toulouse a fait sa thèse avec Hubert Reeves
Sa dernière publication (2021) chez Odile Jacob, la nouvelle symphonie des étoiles. L’humanité face au cosmos.
À la précision scientifique de l’astrophysicienne s’adjoint ici la poésie des images pour conter la saga de l’origine de la lumière, de la matière et du vivant, cette fascinante « symphonie des étoiles » dont nous sommes issus. L’humanité découvre avec stupeur cet univers immense dont elle fait partie. Sa très courte existence sur la planète Terre s’inscrit au sein d’un espace-temps d’une ampleur colossale. Elle doit en prendre conscience pour devenir adulte et orienter sa propre destinée.
En 2017, elle publiait « De l’origine de l’Univers à l’origine de la vie: Une virgule dans l’espace-temps ».